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AAIHP

Association Amicale des Anciens Internes en Médecine des Hôpitaux de Paris

Jean Dausset (AIHP 1942)
Prix Nobel

 

par Laurent Degos (AIHP 1967)

Jean Dausset avait 35 ans en 1952 et deux événements ont marqués sa vie cette année. Dans les locaux qui servaient de laboratoires, abandonnés depuis 1914, quelques tables de cuisine, un microscope, des flacons, des tubes, des lames de verre et un réfrigérateur ne pouvaient atténuer l’aspect désertique des lieux. Cherchant des explications au manque de globules blancs de certains malades, Jean Dausset eu l’idée de mélanger leurs globules blancs avec le sérum provenant d’une personne ayant reçu de nombreuses transfusions, sérum qu’il avait gardé dans son réfrigérateur. Quelle n’a pas été sa surprise de voir des agglutinats visibles à l’oeil nu sur la lame de verre. Ce fut l’expérience initiale qui allait le conduire au prix Nobel.

Sa première expérience en 1952 révélant l’agglutinat des globules blancs, prouvait que des personnes ayant reçu des transfusions réagissaient contre les globules blancs d’autrui. Il existait donc des groupes de globules blancs comme il existe des groupes de globules rouges ABO ou Rhésus mais différents de ceux-ci. Pour y voir plus clair et définir ces groupes la route fut difficile car ces groupes leucocytaires sont complexes et donc délicats à démêler. Aucun sérum ne donnait de réaction similaire à un autre. Il a pu déterminer, en 1958, le premier groupe leucocytaire (groupe de globules blancs) nommé MAC les trois initiales des donneurs du panel qui n’étaient pas agglutinés par le sérum. Ce groupe correspond à HLA A2 de la nomenclature actuelle.

Et c’est aussi à partir de 1952 que son action s’est orientée vers la réforme hospitalo-universitaire avec un groupe de jeunes médecins, Daniel Boutet, Jacques Robin, André Roussel et Guy Verneuil que Jean Dausset dénommait "les jeunes turcs" dans la mouvance de Mendès-France. D’une part la rencontre avec Robert Debré sur les conseils de Guy Verneuil qui avait été son interne en 1956 et d’autre part la fonction de Jean Dausset conseiller technique auprès du Ministre de l’Education Nationale René Billières qui lui disait "Mes enfants faites de l’irréversible" et qui les appelait "mes cadets", ont été les éléments fondamentaux de la réforme que nous connaissons tous. Le chemin n’a pas été facile pour aboutir à l’ordonnance du 30 Décembre 1958, aidé à la fin par Michel Debré, Premier Ministre du Général de Gaulle. La mise en place du temps plein, l’association de la partie médicale et celle de l’enseignement et de la recherche, l’intégration de la biologie dans l’activité hospitalo-universitaire, la rémunération des médecins par la double tutelle, autant de points innovants et passant pour révolutionnaires à cette époque. Combien d’amphithéatres remplis d’opposants a-t-il eu à affronter !

En 1958 Jean Dausset a été nommé Professeur Agrégé, le premier groupe tissulaire a été défini, la réforme hospitalo-universitaire achevée. Il a construit cette même année le Centre Hayem avec Jean Bernard, devenu Institut Universitaire d’Hématologie où il créera ensuite l’Unité INSERM 93.

Jean Dausset est né le 19 octobre 1916 à Toulouse, son père ayant installé son épouse et ses trois premiers enfants dans cette ville pendant la première guerre mondiale. Il a fait ses études à Paris et durant la deuxième Guerre Mondiale, il s’est engagé volontaire dans l’armée française participant à la campagne de Tunisie, après le débarquement américain au Maroc. Transfuseur réanimateur pendant la guerre, il est affecté au Centre de transfusion sanguine de l’Hôpital Saint Antoine, à la libération. Il pratique des exsanguino-transfusions, c'est-à-dire des échanges de sang, pour des femmes qui avaient des septicémies après avortement. Jean Dausset avec ses équipes de donneurs volontaires de sang, pratiquait ces échanges de sang jusqu’à 15 litres de sang, de bras à bras faisant intervenir de nombreux donneurs les uns après les autres, pour une même malade. Ces femmes condamnées par la septicémie et sa conséquence, l’insuffisance rénale, sortaient guéries au prix de la générosité de centaines de donneurs bénévoles. C’est à cette époque au retour d’une année passée au Children Hospital de Boston qu’il s’est intéressé au globule blanc. Il a gardé une amitié profonde avec les donneurs bénévoles de sang qui plus tard venaient au laboratoire chaque jour, chacun à un jour fixe du mois.

1962 une autre date important. Il épouse en seconde noces, Rosa Mayoral, madrilène alliant charme et noblesse, qui restera sa fidèle alliée et complice tout au long de sa vie. 1962, est l’année de son installation à l’Hôpital Saint Louis au centre Hayem. Cette même année il débute les premières greffes de peau afin de faire la relation entre les groupes leucocytaires et le rejet de greffes.

Puis la gloire en 1980. Jean Dauset est le Président du Congrès International d’Immunologie en Juin et reçoit le Prix Nobel en Octobre. Il a été nommé Professeur au Collège de France, tout en restant dans l’Institut Universitaire de l’Hôpital Saint Louis pour ses recherches. Il est élu à l’Académie des Sciences et à l’Académie de Médecine.

En 1984 il fonde le Centre d’Etudes du Polymorphisme Humain, toujours à l’Hôpital Saint Louis, avec le concours du leg de Madame Avani. Avec Daniel Cohen il a continué ses recherches sur le polymorphisme humain et le résultat en a été la première carte génétique de l’homme. La même année, 1984, Jean Dausset a été nommé Président du Mouvement Universel de la Responsabilité Scientifique à la suite de Robert Mallet. Jean Dausset a présidé le MURS de 1984 à 2001 secondé par Michel Barrault, lui donnant son épanouissement international avec Ismaïl Serageldine, Directeur de la bibliothèque d’Alexandrie. Jean Dausset a prôné l’interdiction de la commercialisation des organes humains ainsi que les brevets des gènes humains. Il a proposé un article pour la défense des droits de l’Homme sur ce sujet. Il a aussi attiré l’attention sur la rareté des ressources en eau douce, organisant avec le MURS deux colloques en 1987 et 1996 et il a présidé dès 1995 l’Académie de l’eau.

Jean Dausset m’a remis une page de cahier où il a inscrit quatre mots avant de me dire en juillet 2007 qu’il partait définitivement pour les Baléares ; ces mots qui résument ses découvertes sont les suivants "Transplantation, médecine prédictive, réponse immunitaire et anthropologie". L’aventure de la greffe d’organe est liée à celle des groupes HLA : Jean Dausset avec Jean Hamburger pour la greffe de rein et avec Jean Bernard pour la greffe de moëlle. La transplantation d’organes ou de tissus a été au coeur des avancées scientifiques du XXème siècle. Un progrès pour le bien des malades. Il a fondé France Transplant animé par Jacques Hors, il a aussi crée France Transplant Greffe de moëlle qui a été longtemps dirigé par Colette Raffoux.
L’activité principale de ces deux structures est maintenant reprise par l’établissement français des greffes devenu Agence de Biomédecine. Il faut savoir qu’on ne peut faire de greffe de moëlle sans une quasi identité des groupes HLA entre donneur et receveur, ce qui est à l’origine de son étroite collaboration avec Eliane Gluckman.
Très rapidement après la découverte des groupes leucocytaires, la recherche de lien entre la présence d’un groupe et la susceptibilité à une maladie a été mise en route dans son laboratoire. Les groupes HLA ont été les premiers à fournir une base à la reconnaissance de la susceptibilité aux maladies comme le diabète ou la sclérose en plaques. La plus connue est la spondylarthrite ankylosante pour laquelle la présence de l’allèle HLA B27 est devenue un test diagnostic. Pourquoi ces relations entre un groupe leucocytaire et la susceptibilité aux maladies ? Une intrigue qui n’a pas encore dit son dernier mot mais qui a permis à Jean Dausset d’introduire le concept de "médecine prédictive", maintenant grandement développé.

La connaissance du rôle réel des groupes HLA a été l’objet de nombreuses recherches. Comme le disait George Snell qui a partagé avec Jean Dausset le prix Nobel "le complexe majeur d’histocompatibilité n’a pas été inventé par la Nature pour empêcher le chirurgien du XXème siècle de faire des greffes". Oui la raison de ce complexe est ailleurs. En fait, il est au centre de la réponse immunitaire. Les molécules HLA présentent les antigènes d’une part pour informer les cellules coordinatrices de la réponse immunitaire, les lymphocytes CD4, et d’autre part pour être cibles de l’armée cellulaire tueuse CD8. Classe 2 et classe 1 respectivement, deux types de présentoirs d’antigènes pour informer et servir de cibles pour être éliminés en cas d’infection.

Maryline Sasportes et tous ses élèves et collaborateurs ont mis au point les techniques d’immunologie cellulaire permettant l’analyse fine des mécanismes de la réponse immunitaire. Bien plus un gène HLA G commande la tolérance durant la grossesse comme l’a montré Edgardo Carossella. Toutes ces découvertes chez l’homme étaient transposées à la souris, animal d’étude, par Marika Pla confirmant la validité des résultats. Le complexe majeur d’histocompatibilité est à l’origine de la connaissance de l’immunologie cellulaire, une découverte fondamentale qui a ouvert de nombreuses applications.

Et l’anthropologie ? Ce complexe aux multiples gènes et aux multiples allèles pour chaque gène est un outil d’une grande finesse pour connaitre les migrations, les dérives par consanguinité, les sélections, et pour donner des preuves tangibles aux lois théoriques de la génétique des populations. Les allèles définissent les populations et la distance entre les gènes peut apporter une évaluation du temps des événements. Jean Dausset a émis le concept de la définition de l’identité biologique de l’homme. Cela parait évident aujourd’hui. Par exemple, les groupes HLA ont été les premiers utilisés pour la recherche de paternité, technique qui a été mise au point par Aline Marcelli dans son laboratoire. Voila quatre mots "transplantation, médecine prédictive, réponse immunitaire, anthropologie" pleins de richesses, richesse pour la connaissance, richesse aussi pour le soin des malades.

Jean Dausset, grand, mince, le visage allongé, naturel, inspirait le respect. Il émanait de sa personne une noblesse peu commune qui irradiait dès le premier abord. Toujours disponible et à l’écoute d’autrui, il s’enthousiasmait pour toute idée originale ou créative. On ne lui parlait pourtant qu’avec mesure et pertinence, son interlocuteur ne pouvait être utopiste ou saugrenu. Exigeant pour lui et les autres, intuitif et clairvoyant, il se faisait parfois difficilement comprendre sur le moment, mais le temps lui donnait raison. Opiniâtre, il ne se laissait impressionner par aucun homme. Quand il savait que la cause était juste, rien ne l’arrêtait et en fin de compte il gagnait toujours. Passionné, il savait communiquer sa passion. Son goût pour la créativité se traduisait dans sa passion pour l’art moderne. Il a su reconnaître les talents des artistes avant leurs célébrités et les encourageait. Il a tenu une galerie d’art d’avant-garde à la fin de la Guerre, 19 rue du Dragon où se réunissaient entre autres, les surréalistes.

Mais sa passion profonde est celle qu’il a eu pour sa famille. Rosita, son épouse, l’a toujours entouré avec affection, répondait à toutes ses demandes et le conseillait dans toutes circonstances. Enric et Irène ses deux enfants et ses petits enfants faisaient son admiration. Jean Dausset nous a quittés à Palma de Majorque le Samedi 6 Juin 2009. Déjà trois ans que le pionnier, découvreur et responsable scientifique s’est séparé physiquement de nous. Il nous a légué ses messages. A nous de continuer à les faire vivre.

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