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Association Amicale des Anciens Internes en Médecine des Hôpitaux de Paris

Louis-Hubert FARABEUF (1841-1910) promotion AIHP 1864

Louis-Hubert FARABEUF

 

Louis Hubert Farabeuf est né le 6 mai 1841 près de Provins, à La Conquillie, dans une ferme de cent hectares de bonne terre, à trois kilomètres du petit bourg de Bannost en Seine et Marne. En 1848 ses parents viennent vivre à Beton-Bazoches et en 1852 l’envoient comme interne au Collège de Provins. Bon élève, il s’y plait beaucoup et s’y fait de solides amitiés. Après son baccalauréat ès sciences, il vient en 1859 à Paris pour faire sa médecine, ce choix familial malgré le coût des études est autant lié à ses goûts et à un louable désir d’ascension sociale qu’à une santé déjà fragile.

Les études médicales durent alors quatre ans et sont dominées, par la Faculté pour l’enseignement magistral, l’Ecole pratique pour la dissection, l’hôpital pour l’enseignement au lit du malade, et par les concours hospitaliers d’externat et du très sélectif internat.

La Faculté, 12 rue de l’école de médecine, est alors réduite aux trois bâtiments qui entourent la cour centrale, avec au devant, les colonnes sous la galerie et au fond, le grand amphithéâtre vétuste, inégalement fréquenté selon les professeurs et les matières. Malgré l’importance de l’anatomie dans tous les examens, les cours de Jarjavay et de Sappey le sont peu. L’Ecole pratique est en face, dans les huit pavillons de dissection construits à la fin du 18ème siècle dans le jardin des docteurs du couvent des Cordeliers dont ne subsistent que le cloître et le réfectoire. Pavillons vétustes, mal aérés et mal chauffés où l’étudiant dissèque comme il veut et quand il veut, sans enseignement pratique réel, ni du prosecteur, ni du Chef des Travaux, Sappey. A l’ouest du cloître, l’hôpital des Cliniques s’ouvre sur la rue Dubois. Il date aussi de 1798. Refait en 1833 il aurait grand besoin de travaux. A l’hôpital, Farabeuf est stagiaire chez Velpeau à la Charité, puis chez Trousseau à l’Hôtel Dieu alors bâti à cheval sur le petit bras de la Seine, avec les services de chirurgie côté sud du Parvis, ceux de médecine rue de la Bûcherie. Excellents maîtres réputés pour leurs leçons cliniques.
Le Second Empire est encore autoritaire, et des manifestations contre le régime secouent la Faculté : en 1862 contre la nomination comme doyen de Pierre Rayer trop proche du couple impérial. Son court décanat est fructueux : création d’une chaire d’histologie et de six chaires annexes pour des médecins et chirurgiens des hôpitaux en psychiatrie, dermatologie, pédiatrie, ophtalmologie, neurologie, urologie ; unités de recherche dans les services de clinique, ancêtres des CHU ; réhabilitation du rôle des chefs de clinique pour l’enseignement à l’hôpital ; deux nouveaux pavillons d’anatomie. Mais ces réalisations ne désarment pas l’hostilité des étudiants : il doit démissionner le 9 janvier 1864. Son successeur Tardieu affronte en décembre une émeute après l’exclusion de cinq élèves en médecine pour leur participation et leurs propos aux congrès socialistes étudiants de Liège et de Bruxelles. Sa démission, le 20 décembre n’empêchera pas les violentes manifestations contre lui pour son bonapartisme, en 1866 et 1869. Farabeuf passe déjà pour républicain, ses velléités de corporatisme étudiant l’ont mis en contact avec l’avocat Jules Ferry qui l’incite à la prudence.

Les concours hospitaliers sont pour une carrière beaucoup plus importants que la Faculté. Externe en 1861-62 à Beaujon, Saint Louis et l’Hôtel Dieu Farabeuf est interne provisoire en 1863 (comme Clemenceau) à Bicêtre, hospice de 2750 lits pour indigents, vieillards, infirmes, aveugles, épileptiques. Il y est très actif, sans contrôle réel des chefs de service : le chirurgien Foucher, les neurologues Vulpian, Charcot bien occupés ailleurs. Redevenu externe, il est nommé en décembre 64 Interne des hôpitaux. Les concours se déroulent alors dans le grand amphithéâtre de l’AP, 3 avenue Victoria, dans un cérémonial imposant à l’écrit et plus encore à l’oral et lors de la proclamation des nominations, une quarantaine par an, plus une trentaine de provisoires. En 1865, il est à Lourcine, hôpital des vénériennes et premier poste des jeunes chirurgiens des hôpitaux, (son maître Panas aura en 1878 la première chaire d’ophtalmologie) puis à la Pitié chez Gosselin, bon clinicien, fin enseignant, puis chez Richet, dont le Traité d’anatomie médico-chirurgicale le séduira. En 1867 et 68, il est à Lariboisière chez Verneuil, un des premiers adeptes du microscope et de l’antisepsie et agrégé d’anatomie. L’infection hospitalière (on dirait aujourd’hui nosocomiale) est alors effrayante : érysipèle, gangrène, pourriture d’hôpital, “tout suppure, rien ne réussit” (Denonvilliers). Le mécanisme de cette infection échappe totalement aux chirurgiens qui ignorent ou dénigrent les travaux de Semmelweis, Pasteur ou Lister. Lefort rapporte 70% de mortalité après amputation de cuisse, Malgaigne 20% d’infection puerpérale à la Maternité de Paris sur 1400 accouchements en 1864. Péan fait son hémostase à bout de pinces, lave ses instruments et ses mains ; ses résultats sont bons mais il sera un farouche anti-pastorien. L’interne vit quatre ans de formation solide et trouve en salle de garde un lieu de culture, d’échanges intellectuels, de libre parole “classe républicaine anti autoritaire, la moins douée de la bosse de la vénération” selon les Goncourt qui fréquentent la Charité en 1861-62 pour se documenter pour leur roman Sœur Philomène. Gambetta a connu vers 1860 celle de Bicêtre, où Farabeuf a laissé le souvenir d’un joyeux drille, d’un luron pittoresque au verbe haut, au trait caustique ; aux propos républicains imprudents, notamment lors d’une lutte héroïco comique avec l’administration lors des élections de 1863 ; aux nus académiques talentueux sur les murs de la salle de garde, où ses initiales auraient été cochées par une belle peu farouche parmi celles d’autres futurs grands patrons… on ne prête qu’aux riches. Parmi ses condisciples on trouve Dieulafoy, Bourneville, Lucas-Championnière, Desplats.

Très attiré par cet internat chirurgical, Farabeuf va pourtant s’orienter vers l’anatomie. Nommé aide titulaire en 1868, soutenu par Verneuil, plusieurs raisons dictent ce choix : sa mauvaise santé d’abord. Déclaré inapte au service militaire en 1861, il tombe gravement malade pendant plusieurs semaines en janvier 1863, en venant à Beton-Bazoches par un froid glacial au chevet de son père mourant. Il en gardera toute sa vie de graves séquelles respiratoires, auditives et oculaires, et une grande fragilité. La mort de son père lui apporte une certaine aisance financière. Enfin il se marie en 1866 à une jeune fille de Jouy le Châtel, ils auront deux fils en 1867 et 1869. Il se prépare au prosectorat quand débute la guerre avec la Prusse. Non mobilisable, il est avant le Siège de Paris bénévole pour donner des cours sur les moignons d’amputation aux Ambulances de la Presse. Pendant le Siège, il est affecté sans solde à l’annexe militaire de Saint Antoine. Lors de la sortie manquée de Champigny, il opère un grand nombre de blessés, amenés par le bois de Vincennes dans des sapinières ou des omnibus réquisitionnés ou par le fleuve sur des bateaux-mouches. Il doit diriger sur le secteur prévu une grande partie des 1700 blessés du 30 novembre et des 252 du 2 décembre. Il tirera de l’impréparation technique des chirurgiens improvisés, de l’infection post opératoire, et du ramassage trop tardif des blessés sur le terrain, une orientation de son enseignement vers une anatomie pratique et opératoire obligatoire pour les étudiants en médecine. En même temps il continue ses fonctions à l’Ecole Pratique et entraîne un groupe d’une dizaine d’élèves payants. Le répit entre l’armistice du 28 janvier et le début de la Commune le 18 mars est vécu dans l’inquiétude : élection d’une Assemblée nationale le 8 février, troubles politiques, ratification des accords, opposition entre province et Paris, il en finit avec ses derniers examens de Faculté, passe sa thèse. Pendant la Commune la Faculté est fermée, les dissections suspendues, et le Docteur Farabeuf reste à Paris sans participer directement, ce républicain rural réprouvant le désordre, comme son ami Clemenceau. Pendant l’été il se repose avec sa famille épuisée en Normandie puis au pays natal. Et il rentre à Paris, pour se préparer au prosectorat.

L’ascension

En 1872, il est nommé prosecteur, échoue à l’Agrégation, la réussit en 1876, avec une remarquable thèse sur le système séreux. Il a déjà une solide réputation d’enseignant près des étudiants, et des candidats à l’Agrégation d’anatomie-histologie-physiologie, dont Berger, Terrillon, Landouzy et Charles Richet, futur prix Nobel. Il supplée Ch Robin en histologie, puis Marc Sée chef des Travaux pratiques auquel il succède en 1878. Il a, début 1876, exposé ses buts : une profonde réforme de l’enseignement pratique de l’anatomie et de la médecine opératoire, il les veut pratiques, chirurgicales, aussi utiles aux médecins de campagne qu’aux futurs chirurgiens.

La réforme Farabeuf sera réalisée rue Vauquelin, derrière le Panthéon, de 1878 à 1887, pendant la reconstruction et l’extension de la Faculté vers les rues Hautefeuille, Dupuytren et le Bd Saint Germain. Côté impair on détruit et on reconstruit les pavillons, le cloître, un amphithéâtre, des laboratoires le long des rues Racine, Dubois, Monsieur le Prince ; l’hôpital des Cliniques disparaît. Dans les dépendances de l’ex-collège Rollin, l’Ecole pratique provisoire en bois et bitume ouverte en 1878 est remplacée en 1882 par une Nouvelle école pratique provisoire dont les huit pavillons servent de brouillon à ceux qu’on édifie au 15 rue de l’Ecole de médecine, sous l’étroit contrôle de Farabeuf, eux-mêmes un modèle pour les pavillons de dissection de toute la France et de nombreux pays. Chacun reçoit 90 élèves et comporte : un vestibule avec des casiers où on laisse la redingote pour la blouse, quatre lavabos débitant de l’eau chaude ; une salle aérée et bien chauffée avec 16 tables de dissection pour cinq étudiants assis ; une estrade et un tableau noir entre les deux cabinets du prosecteur et de préparation du cadavre par le garçon de salle maintenant chargé de l’entretien. On est loin des vieux pavillons sales où la température n’excédant pas 8° à trois mètres du poêle central, les cadavres étaient gelés l’hiver, pourris l’été, mal conservés. Le service des cadavres comporte trois salles : une d’injection de glycérine phéniquée ; une réserve bien aérée pour 80 sujets qui a remplacé l’ignoble réduit où on les entassait assis “comme dans un tramway de voyageurs endormis” ; une chambre froide, grande nouveauté.

L’enseignement est profondément réformé : il est fait par des prosecteurs et des aides mieux payés, motivés par la préparation des concours, contrôlés par Farabeuf. Ne dissèque plus qui veut et comme il veut : la dissection est rendue obligatoire pour tous les étudiants (1878), validée uniquement par la Faculté (1882) avec un accord pour Clamart, ce qui entraîne la disparition des professeurs libres, (payés par les élèves bien qu’utilisant les locaux et les cadavres de la Faculté). Dans l’ordre et le calme, six jours sur sept pendant le semestre d’hiver, le stage de dissection devient aussi utile que le stage hospitalier. (fig3)

La médecine opératoire est enseignée au pavillon au semestre d’été, par les prosecteurs et par Farabeuf. S’y exercent non seulement les candidats aux concours de faculté (adjuvat, prosectorat) et hospitaliers, mais tous les étudiants qui répètent les amputations et les ligatures d’artères pour leurs épreuves de doctorat. “Quand on veut garder une chance en allant sur le pré, mieux vaut avoir fréquenté la salle d’armes”. Le Précis de Manuel opératoire, le seul livre écrit par Farabeuf, publié en 1881, a connu de son vivant neuf éditions, et sera considéré comme une bible par des générations de chirurgiens et aussi de médecins isolés pratiquant par nécessité beaucoup de gestes chirurgicaux simples, longtemps les seuls possibles en un temps où la chirurgie viscérale était balbutiante. Dans son laboratoire, Farabeuf expérimente les instruments confiés par ses amis couteliers Charrière et surtout Henri Collin, qui les forgent en face au 6 rue de l’Ecole ; beaucoup sont imaginés ou modifiés par lui, portent son nom et sont encore utilisés, daviers, rugines et les célèbres écarteurs.

Une cohorte de quarante chirurgiens des hôpitaux, pour la plupart professeurs illustres, de Paris ou de province, se réclame de l’avoir eu pour maître. Sur un portrait charge, on le voit parmi ces disciples : Hartmann, Sébileau, Auguste Broca, Lejars, Lecène, Delbet, Duval, Schwartz, Couvelaire, Veau, Grégoire, Desmonts, Dujarier, Heitz-Boyer, tous devenus célèbres.

En 1877, il est élu membre titulaire de la Société de chirurgie, honneur rare pour un anatomiste pur. Parmi ses nombreuses interventions, où il joint le croquis au discours, deux ont été marquantes : les luxations du pouce dont la classification avant l’ère radiologique, les causes d’irréductibilité et la manœuvre de réduction portent encore son nom ; la luxation sous glénoïdienne ancienne de l’épaule, dont il rapporte une observation, chez un charretier de Jouy le Châtel, qu’il a réduite au 75ème jour sous anesthésie, ce qui montre son habileté.

En 1877 encore, il est élu Conseiller général républicain radical de Seine et Marne contre le sortant, Comte d’Harcourt, ambassadeur, orléaniste. C’est le moment où s’enracine la Troisième république, à la recherche d’hommes efficaces et rassurants. Cette élection reflète des amitiés politiques (Paul Bert, Jules Ferry, Bourneville) qui lui seront utiles pour l’Ecole pratique, avec moins de virulence anticléricale ; une fidélité à sa région natale, à la terre, aux anciens de Provins. Pendant dix ans au Conseil général il sera assidu, modéré, efficace, écouté. Il s’occupera particulièrement des chemins de fer départementaux qui désenclavent les bourgs et les hameaux ; des écoles, locaux, maîtres, matières, examens, discours des prix ; de l’assistance sociale aux pauvres, aux aliénés, aux enfants, et à la prévention.

Au début de 1887, succédant à Sappey, il devient professeur titulaire d’anatomie. Il se sent assez fatigué par ses multiples et intenses activités. Il a dû plusieurs fois les interrompre pour raison de santé, des cures thermales ou de repos. Aux sessions du Conseil général à Melun, deux à trois par an, s’ajoutent les voyages sur des routes inconfortables pour des comices, des foires, des remises de prix où il faut bien paraître, discourir, festoyer. Il renonce à un troisième mandat, démissionne de la Société de chirurgie, pour se consacrer exclusivement à l’enseignement magistral cumulé un an encore avec le poste de chef des travaux. On est enfin revenu à la toute neuve Ecole pratique, 15 rue de l’Ecole de médecine, dans les pavillons conçus par lui, son laboratoire au nord ouest du cloître domine un peu la place. La Faculté en face ne sera inaugurée qu’en 1900.

L’apothéose, la montée des soucis

Le cours magistral. La magie de l’extraordinaire enseigneur plane encore, cent ans après, sur le grand amphithéâtre. A 16 h 30, une masse d’étudiants quitte les pavillons de dissection, s’entasse sur les gradins. Une silhouette traverse la rue puis la cour, habillée comme un portemanteau, une longue pélerine, un chapeau ou une casquette à oreilles enfoncée jusqu’aux yeux, un long cache nez rouge multi enroulé couvrant le menton, un triple lorgnon superposé dont un à verres noirs pour protéger de l’éclat de la lumière. Farabeuf entre dans l’amphithéâtre bondé, laisse se calmer le brouhaha, commence son cours. Sa voix d’abord sourde s’enfle, animée par la foi. Pour être compris, il ne recule devant rien, la répétition, le calembour, le dessin à main levée merveilleux de simplicité, la mimique. Il s’assoit sur la table pour montrer les mouvements de la hanche, sort de sa manchette une maquette articulée, une chaîne d’osselets. Les étudiants sont des groupies enthousiastes, même Léon Daudet, le pourfendeur impitoyable des Morticoles.

Les soucis cependant s’accumulent : le nouveau chef des travaux Paul Poirier est l’opposé de Farabeuf : excellent chirurgien des hôpitaux, c’est un faux dilettante, un dandy mondain proche des Rothschild, démagogue avec les étudiants, amateur de scandale, étalant une vie agitée et ses bonnes fortunes dans l’appartement de fonction du réfectoire des Cordeliers, sous le nez des Farabeuf qui vivent sobrement, en face, au dessus de la coutellerie Collin. Il entend bien se dégager totalement de la tutelle de Farabeuf. Ils ne s’entendront jamais.

Le conflit avec Félix Terrier naîtra plus tard, quand celui-ci aura la chaire de médecine opératoire et d’appareils en 1893. Il entend en contrôler l’enseignement, aussi bien à Clamart dont son élève E. Quenu est devenu le Directeur en 1890 qu’à la Faculté où Farabeuf enseigne dit-il une langue morte. La chirurgie viscérale est une langue vivante, dont il organise des cours de formation hélas peu suivis car il est piètre orateur. Un des pères de l’asepsie et du bloc opératoire, il est sec et cassant dans la discussion, voire blessant.

La passion de Farabeuf pour l’obstétrique va l’occuper près de quinze ans. En 1886, ses élèves et amis Pinard et Varnier lui demandent de rédiger une Introduction Anatomique à la Pratique des Accouchements. Cinq ans de mensurations du bassin pour trente pages et cinquante admirables figures, pour un livre qui sera la bible de plusieurs générations d’obstétriciens, de médecins de campagne qui font alors les accouchements à domicile, et de sages femmes dont Farabeuf contrôle depuis 1878 l’enseignement et les connaissances anatomiques. Pinard lui demande ensuite de déterminer sur le cadavre de combien de centimètres la section de la symphyse pubienne peut agrandir le bassin pour remédier aux dystocies du détroit inférieur. Quand Farabeuf propose pour les exceptionnels bassins dits obliques ovalaires une double section ischio pubienne, il va trop loin dans ses propos, pourfend le forceps au détroit supérieur, insinue que les accoucheurs sont piètres chirurgiens, se fait des ennemis à l’Académie de médecine. L’essor de la césarienne mettra fin au débat.

En 1897, il est élu à l’Académie de médecine qui se réunit encore le mardi dans l’ancienne chapelle de la Charité, rue des Saints Pères. Il y sera assidu.

Son état de santé continue de se détériorer. Bourdonnements, douleurs d’oreilles, crises rhumatismales, rhumes et bronchites répétées ; troubles digestifs au moindre écart ; 18ème poussée d’iritis en 1895 où Panas parle de l’opérer ; état dépressif avec épisodes d’agressivité ; recours fréquent aux opiacés. Il a dû interrompre ses cours en 1889, 1890, son service d’examens ; passer l’hiver 87 à Dax, fuir le week end à l’Hay les roses l’air phéniqué du laboratoire. C’est un valétudinaire que Léocadie et ses fils doivent supporter.

Farabeuf est très déçu par ses fils. Tous deux externes et médiocres, ils ne seront pas nommés à l’internat. Pierre, l’aîné, y renonce dès le premier concours, forte tête en conflit avec le père, il sera bon médecin à Etampes. Paul, le cadet, échouera en 1895 à son troisième concours malgré un jury favorable auquel son père s’interdit de le recommander. Il sera interne des Asiles. Tous deux de santé fragile, ils mourront à la quarantaine. Malgré le prestige de leur père, sa réussite matérielle est moyenne si on la compare à celle de ses collègues, chirurgiens en vue tel Pozzi ou médecins, tel le professeur d’hygiène Adrien Proust.

La charge de travail est croissante : aux cours magistraux et travaux de laboratoire s’ajoutent les jurys de concours et surtout des examens multiples d’anatomie, pour Paris et les huit écoles préparatoires satellites (Rouen, Caen, Rennes, Nantes, Angers, Tours, Limoges, Poitiers), dont il assume sur place la présidence pour les premiers examens, et à Paris les examens de doctorat. L’inflation du nombre d’étudiants (1045 en 1895), et d’étudiantes étrangères, notamment slaves et anglo-saxonnes est préoccupante. Paul Bert a imposé en 1885 leur candidature à l’internat, malgré l’opposition du Conseil d’Administration de l’AP, des doyens, des Sociétés de chirurgie et de médecine, de l’Association des Internes. En 1887, la nomination de Melle Klumpke (future Mme Déjerine) déclanchera une émeute rue Victoria. En 1889 est nommée la russe Mme Wilbrouschewitch (future Mme Nageotte) ; en 1900 deux françaises, Louise Géry-Tinnel et Marie Fr Francillon.

En 1898, l’ensemble de ses soucis a un peu altéré l’image du Maître, ses cours sont moins soignés, ses rapports avec le doyen Brouardel plus difficiles. Et surtout son comportement lors des examens inquiète ses collègues et ses amis : ses plaisanteries ne s’adressent pas seulement aux étudiants dilettantes, ni aux étudiantes gênées par des questions ou propos salaces. On murmure qu’il pourrait bien avoir une paralysie générale, accident tertiaire, comme le tabès, de la syphilis alors très répandue. Hypothèse répétée de générations en générations d’internes et de conférenciers jusqu’à nos jours, mais totalement fausse.

Le drame de 1902

Le 18 février 1902, deux candidats ajournés par Farabeuf à l’examen d’histologie portent plainte près du doyen Debove : l’un d’avoir dû lire une coupe histologique sans microscope ; l’autre d’avoir été traité de couillon et d’andouille ; tous deux d’avoir été indignement traités. Le doyen informe le recteur, et celui-ci son ministre. Farabeuf est suspendu de ses fonctions. Un an avant, pour un comportement aberrant lors des examens, Gilles de la Tourette, le célèbre neurologue avait dû être interné en urgence. Le ministre est Waldeck-Rousseau, gendre de Charcot et ami intime de Poirier. On harcèle Farabeuf pour une retraite prématurée (il a 61 ans !). On le fait officier de la Légion d’honneur, on lui fait miroiter une chaire au Collège de France. Il finit par céder et sera Professeur honoraire au 1er novembre 1902. Imposé par le ministre contre le vote du conseil de Faculté favorable à Tillaux, son successeur sera Poirier dont la leçon inaugurale sera empêchée par un formidable tumulte des étudiants.

La retraite forcée

Elle débute par un retour à Beton Bazoches, où il se refait une santé, se sèvre des opiacés, grossit, et s’ennuie. L’hiver y est triste avec la pieuse Léocadie, il aménage la maison familiale, son cabinet de travail, s’occupe du jardinage, des écoles, des anciens du collège de Provins, se promène dans le bourg et dans la campagne, il a deux chevaux ; il s’ennuie. Heureusement on a gardé l’appartement de Paris. Dès 1904, le doyen Debove fait aménager pour lui un laboratoire dans le sous-sol du cloître, où le fidèle garçon Victor lui apporte des cadavres frais. Il y complète un admirable travail sur les vaisseaux des organes génito-urinaires du bassin, qu’il vient présenter en 1905 à l’Académie de médecine, dans un éblouissant exposé qui sera son chant du cygne. Il y reviendra régulièrement lors de ses séjours à Paris. En 1906, son élève et ami Sébileau devenu Directeur de Clamart, l’y invite à faire trois leçons sur le médiastin et le cou. Le petit amphithéâtre est plein d’internes et de jeunes chirurgiens, l’exposé admirable et applaudi. Mais le cœur et le plaisir n’y sont plus, il lui faut le grand amphithéâtre, la foule bruyante. Il rentre à Beton Bazoches.

La mort de Farabeuf

Le 10 juillet 1910, il discourt à Necker lors de la réception donnée par son élève Pierre Delbet nouveau titulaire de la chaire de Clinique. Le 18, aux écoles de Courtacon, puis le 31 de Beton Bazoches, il préside les distributions des prix, remet les livres choisis par lui, prononce des discours d’une haute tenue morale destiné aux parents plus qu’aux enfants. Il doit s’aliter, une occlusion par obstruction du grêle se précise. P. Delbet accouru de Paris l’opère à domicile le 12 août d’un iléus biliaire, il meurt le lendemain. Le 16, c’est l’enterrement civil, une assistance locale réduite par les moissons, une délégation venue de Paris pour les discours du doyen Landouzy, de Delbet, les larmes du garçon de laboratoire, la grande tombe sans croix, la famille autour de Léocadie et Paul (Pierre est mort en 1908).

Le 16 janvier 1924 J.L. Faure fait un éloge vibrant à la séance solennelle de la Société de chirurgie. Le 28 mai, on inaugure, dans la cour du cloître de l’Ecole pratique, la statue de Farabeuf devant le petit amphithéâtre qui porte son nom, un nom encore évocateur pour les étudiants comme il l’a été pour des générations de médecins depuis plus de cent ans.

 

Marcel Guivarc’h
(AIHP 1957)

 

Bibliographie
Une importante bibliographie figure dans l’ouvrage de Marcel Guivarc’h : Louis Hubert Farabeuf, enseigneur de génie, rénovateur de l’anatomie pratique, notable républicain 1 vol, Editions Louis Pariente. Paris, 2003 ; réedition 2005, diffusion Texto-Médiqualis 98 bd du Montparnasse 75014 Paris.

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